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Gisèle Halimi dans l’affaire Marie-Claire Chevalier : un nouveau tremplin vers la liberté des femmes

Dernière mise à jour : 2 sept. 2022

Par Caroline Salomon

Crédit : Michel Artault

Le 28 juillet 2020 s’éteint une des figures du féminisme les plus adulées de son temps. Avocate de renom, engagée socialement et politiquement, Gisèle Halimi s’allie aux femmes victimes de violences sexuelles et s’oppose aux mentalités arriérées de l’époque dans de grands procès. Bien décidée à plaider pour la légalisation de l’avortement, elle décide de représenter Marie-Claire Chevalier dans le procès de Bobigny, procès à grande résonance politique et sociale.


Le parcours d’une femme engagée


C’est en 1927, dans une petite ville d’Algérie, que naît Gisèle Halimi. Dès son plus jeune âge, elle s’engage pour défendre des problèmes sociétaux importants, notamment la vision de la femme dans la cellule familiale. Elle se révolte contre l’obligation pour les femmes de servir les hommes à table et d’effectuer les tâches ménagères. À tout juste dix ans, elle va jusqu’à entamer une grève de la faim pour défendre son droit à la lecture, ce qu’elle reproduit trois plus tard pour ne plus avoir à faire le lit de ses frères. À quinze ans, elle refuse un mariage arrangé et décide d’aller étudier le droit et la philosophie à La Sorbonne. Elle suit en parallèle une formation à l’Institut d’études politiques de Paris, tout en travaillant comme téléphoniste afin de payer ses études.


En 1949, elle épouse Paul Halimi, un administrateur civil, et entre au barreau de Tunis dans l’optique de défendre des indépendantistes tunisiens et membre du Front de Libération Nationale (FLN). Avant de repartir à Paris et de s’installer avec Claude Faux, ami de Jean-Paul Sartre avec lequel elle se remarie, elle décide de défendre Djamila Boupacha, militante FLN, torturée et violée par des soldats français et marque ainsi le début de ses procès féministes et anticolonialistes.



Durant ce grand procès, elle fait la rencontre de Simone de Beauvoir qui réussit à lui faire signer un peu plus tard le Manifeste des 343 , publié par Le Nouvel Observateur et œuvrant pour la dépénalisation et la légalisation de l’Interruption Volontaire de Grossesse (IVG). Les signataires déclarent avoir violé la loi française en ayant déjà avorté et plaident pour qu’aucune femme n’ait plus à mettre sa vie en danger en avortant clandestinement.


Sur le plan politique, elle fonde en 1965 le Mouvement démocratique féminin aux côtés d'Evelyne Sullerot et Colette Audry, afin de soutenir la candidature de François Mitterrand à la présidence de la République. Avec Simone de Beauvoir, toutes deux décident de fonder le mouvement « Choisir la cause des femmes », organisation non-gouvernementale spécialisée dans les droits des femmes, notamment dans la défense des femmes maltraitées. En 1972, lors de l’affaire Marie-Claire Chevalier, le mouvement joue un rôle conséquent et réussit à mobiliser la population en favorisant une prise de conscience de l’opinion publique sur le choix de recourir à l’IVG.

Un procès déterminant dans la lutte des femmes pour la légalisation de l’IVG


En 1972, Marie-Claire Chevalier, une lycéenne de 16 ans, est violée par l'un de ses camarades et décide par la suite de se faire avorter clandestinement. Sa mère, employée de la RATP qui élève seule ses trois filles, n’a pas les moyens de la faire avorter chez un médecin et va donc s’adresser à l'une de ses collègues ayant par le passé elle-même recouru à l'IVG. Cependant, lorsque c’est au tour de la jeune fille, elle est victime d’une hémorragie et doit être conduite à l’hôpital. Ce n’est que quelque jours plus tard que Marie-Claire est arrêtée, après avoir été dénoncée par son violeur. Gisèle Halimi décide de prendre la défense de Marie-Claire, de sa mère accusée d’avoir aidé sa fille, de l’avorteuse et de deux intermédiaires.


Marie-Claire est mineure, son audience se tient donc à huit-clos, divisant le procès en deux parties. Elle comparaît au tribunal pour enfants de Bobigny et est relaxée, étant jugé qu’elle a fait face à des « contraintes » à prendre en compte. « Nous n’aurions pas accepté un autre verdict », dit alors l’avocate, « nous aurions fait appel, même pour une condamnation avec sursis de quinze jours ».


Le plus gros reste encore à faire : la deuxième partie du procès a lieu quelques semaines plus tard. Le jour de l’audience, des centaines de personnes se pressent à Bobigny pour assister à l’événement. D’emblée, Gisèle Halimi donne le ton : "j'ai avorté. Je le dis. Messieurs, je suis une avocate qui a transgressé la loi." Elle enchaîne dans sa plaidoirie : "regardez-vous, messieurs, et regardez-nous. Quatre femmes comparaissent devant quatre hommes, pour parler de quoi ? De leur utérus, de leurs maternités, de leurs avortements, de leur exigence d’être physiquement libres… Est-ce que l’injustice ne commence pas là ?"


Pour ce procès, elle obtient également le soutien de nombreuses personnalités, dont Jacques Monod, prix Nobel de médecine et François Jacob, Simone de Beauvoir, mais aussi le Professeur Paul Milliez, fervent catholique opposé à l’avortement. "Cette affaire est injuste, insupportable, j’irai témoigner à Bobigny", lui dit-il. "Je vous demanderai publiquement à la barre : si Marie-Claire était venue vous voir, qu’auriez-vous fait ?". "Je l’aurais avortée", répond-il. "C’est ainsi qu’il est devenu mon témoin capital. J’en étais bouleversée car je mesurais sa déchirure."


Le 22 novembre, le tribunal de Bobigny condamne finalement Michèle Chevalier à 500 francs d’amende avec sursis, l’avorteuse, Micheline Bambuck, à un an d’emprisonnement avec sursis et relaxe Renée Sausset et Lucette Dubouchet, les deux femmes ayant servi d’intermédiaires. Les peines prononcées sont seulement symboliques et marquent une avancée capitale dans la considération de l’avortement comme un droit et non comme un crime. Selon Gisèle Halimi, « un pas en avant a été fait vers la suppression d’une loi caduque ». Un combat que reprendra Simone Veil dès son arrivée au ministère de la Santé, au printemps 1974.


En quelques jours seulement, l'évènement a abouti à un soulèvement de l’opinion public irréversible menant à la révision de la loi de 1920, loi considérant l'avortement comme un délit en France, mais également à l’avènement de la loi Veil de 1975, autorisant l’IVG.


Son regard sur le féminisme actuel et son hommage

Le mouvement fondé avec Simone de Beauvoir, « Choisir la cause des femmes », s’est par la suite spécialisé dans les droits des femmes en général et s’est joint au combat pour la pénalisation du viol et pour la parité en politique, Gisèle Halimi étant devenue député à l’Assemblée nationale.


Sur les nouveaux mouvements comme #metoo, Halimi porte un regard sceptique, confie Annick Cojean : "elle disait 'Une fois qu’on dit #metoo on fait quoi ? C’est sympathique, mais qu’est-ce qu’on fait ? Est-ce qu’on saisit la justice ? Est-ce qu’on change les lois ? Est-ce que ce n’est pas un peu facile ? Un peu déclaratif ? Une fois qu’on a dit ça, on n’a pas fait assez avancer les choses'."


À sa mort le 28 juillet dernier, un bref hommage national a eu lieu. "À son enterrement, il n’y avait même pas un représentant du gouvernement", s’insurge Annick Cojean. "Cette femme a changé nos vies, elle a été avocate, députée, ambassadeur de France, et pas un membre du gouvernement ne s’est déplacé."


Plusieurs pétitions ont été créées dans l’optique de son entrée au Panthéon, et les textes lancés notamment par Louise Debray, psychologue chez Womensafe spécialisée dans les violences faites aux femmes, recueillent plusieurs milliers de signature. En parallèle de tout le travail révolutionnaire réalisé par Gisèle Halimi, que ce soit en tant qu’avocate ou député, elle s’est également essayée à l’écriture, afin de faire rayonner son engagement, ses combats et ses visions et comme elle le proclame en parlant des femmes : "j’attends qu’elles fassent la révolution. Soyez égoïstes ! Devenez prioritaires."









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