Denis Mukwege, "l'homme qui répare les femmes"
- Equality Time
- 31 oct. 2022
- 5 min de lecture
Dernière mise à jour : 1 nov. 2022
Par Caroline Salomon.

Le gynécologue congolais Denis Mukwege, prix Nobel de la paix en 2018, se bat au quotidien aux côtés de Nadia Murad – ancienne esclave sexuelle de Daesh et aujourd’hui militante – pour mettre fin aux violences génitales que subissent les femmes congolaises.
Son parcours et son engagement
Après des études au Burundi, Mukwege s’installe en France et fonde à Angers l’association France-Kivu destinée à aider le Congo dans la lutte contre les violences génitales. Il part exercer en Belgique avant de retourner en 1989 au Congo pour diriger l’hôpital de Lamera, rapidement détruit par la première guerre civile du Congo.
Avec le soutien infaillible de la Suède, Mukwege fonde en 1999 l’hôpital de Panzi, dans la ville de Bukavu. L'hôpital est à l’origine destiné à permettre aux femmes d’accoucher dans de meilleures conditions. C’est alors qu’il constate les innombrables cas de mutilations génitales qu’il va dénoncer devant la communauté internationale.
Assez vite, cet hôpital devient une véritable « clinique du viol ». Le Congo – notamment la région du Kivu – utilise depuis 1998 le viol comme arme de guerre. Encore aujourd’hui, cette « guerre sur le corps des femmes » est toujours d’actualité au Congo. Le médecin confie que malheureusement depuis 2016, il y a une augmentation des cas de viols dans la région.
Les guerres civiles au Congo : une atteinte aux libertés fondamentales toujours d’actualité
Au Congo, les viols sont assimilés à des « tactiques de guerre » entraînant un déclin démographique non négligeable. En effet, si les viols ne « tuent » pas au sens premier du terme, ils peuvent d'une part rendre stériles et d'autre part accentuer la prolifération d'infections sexuellement transmissibles impactant la santé des femmes et celle de leurs enfants.
En outre, au-delà de la destruction physique, psychique et psychologique des victimes, le viol fait des femmes de véritables parias, obligées de fuir avec leurs « enfants des serpents » pour survivre. De leurs côtés, les hommes quittent également leur foyer, seuls, pour se construire une toute nouvelle identité.
Ces pratiques s’inscrivent dans un contexte géopolitique incontrôlable et deviennent une véritable arme poussant aux déplacements des populations. L’économie nationale est impactée.
Vers une reconstruction de cette société ? Le fonctionnement de l’hôpital de Panzi
Denis Mukwege a organisé l’hôpital de Panzi autour de diverses actions : la prise en charge médicale des victimes – par l’hospitalisation et les opérations –, le suivi psychologique régulier et la réinsertion sociale. Pour le gynécologue, une femme détruite psychologiquement ne doit pas être renvoyée dans son village d’origine, seule et sans ressources. Il préconise le suivi d'un programme de réinsertion socio-économique. Les femmes sont poussées à commencer des études et à se former à divers métiers. L’hôpital propose par exemple de lutter contre l’analphabétisme, situation fréquente au Congo. La dernière aide proposée à l’hôpital est une aide juridique : des avocats sont à la disposition de ces femmes et les frais de justice sont couverts par la structure médicale. Malgré tout, on ne constate que 300 actions en justice sur environ 3000 femmes soignées chaque année.
« J'ai travaillé dans la région plus de quinze ans, je connaissais cette pathologie de viol avec extrême violence qui est apparue avec la guerre (1998 à 2003), mais leur nombre a augmenté de façon exponentielle après-guerre. En 2006, nous avons atteint le chiffre de 4000 victimes de violences sexuelles traitées à l'hôpital », déclare le prix Nobel.
La structure organise également de grandes campagnes de sensibilisation sur les violences sexuelles, notamment concernant la stigmatisation des victimes. Il semble que les mentalités commencent à évoluer sur ce sujet.
« Il faut se battre du bon côté, celui des femmes »
Invité à de nombreux évènements politiques, Mukwege dénonce sur la scène internationale l’inaction politique de tous les dirigeants. Aux côtés de Nadia Murad, il s’adresse à l’ONU dans un discours poignant pour faire voter une résolution sur les violences sexuelles dans les zones de conflit. « Partout où je me rends, les survivantes parlent (...), leurs témoignages sont la preuve vivante que nous ne pouvons pas rester indifférents à ces crises, les évidences sont là, les lois sont là: qu'attend la communauté internationale pour rendre justice aux victimes? » demande le médecin.
La résolution a bien été votée mais les États-Unis font pression en ôtant la mention du droit à l’avortement pour les victimes. Les États-Unis, soutenus par la Russie et la Chine, rejettent également la création d’un mécanisme permettant de faciliter la poursuite en justice des agresseurs.
« Quand je vois cette force dans les femmes, cette résilience, je me dis que je n'ai pas le choix, il faut se battre du bon côté, et le bon côté, c'est celui des femmes » déclare le médecin.
« Nous devons changer la masculinité »
Selon Denis Mukwege, le changement de mentalité sur les rapports hommes-femmes serait la pierre angulaire de l’évolution du viol comme arme de guerre. Il est alors essentiel de passer par l’éducation et la sensibilisation dès le plus jeune âge. Il ajoute : « Il faut travailler en temps de paix puisque c'est en temps de paix que les hommes se forgent sur les femmes un regard négatif, dominateur, non-respectueux. La violence qu'on voit dans les conflits armés est le prolongement des violences que l'on voit dans des sociétés pacifiées ».
Le chemin semble bien long, même dans les pays européens, où la parité en politique est toujours remise en question et la fréquence des féminicide ne cesse d’augmenter. Il y a un véritable changement à faire au niveau judiciaire lorsque l’on voit l’impunité de ces crimes et délits.
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« Nous n’avons pas encore fait suffisamment d’efforts pour comprendre ce qu’est un viol pour une femme. Pas un simple rapport sexuel sans consentement, mais un déni de l’humanité de l’autre. C'est comme si on tuait une personne, mais en la laissant en vie », souligne le médecin.
Vers une progression de la reconnaissance du viol comme arme de guerre ?
Il déclare qu’ « Aujourd'hui, c'est mieux qu'il y a dix ans : quand je parlais des drames que je voyais au quotidien, j'avais l'impression que j'avais un mur devant moi. Mais une récompense comme le prix Sakharov va nous aider pour mener cette lutte avec les 28 États européens. J'espère que ces derniers vont nous accompagner pour que nous puissions arriver à dessiner une ligne rouge contre l'usage du viol comme arme de guerre. Je ne vois pas pourquoi une arme qui détruit autant ne peut pas être considérée comme une arme de destruction massive, d'autant plus que c'est une arme moins chère, accessible, donc difficilement contrôlable. »
Alors, qu’est-ce que la communauté internationale est prête à faire ?
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