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Movember, ou comment en finir avec les stéréotypes de genre qui nuisent à la santé des hommes

Par Elise Masson.


Imaginez un monde dans lequel de simples idées reçues ont le pouvoir de blesser mortellement. Le croiriez-vous si l’on vous disait que ce monde n’est autre que le nôtre ? Cette affirmation, bien qu’audacieuse, se vérifie en partie au regard de l’effet des stéréotypes de genre sur la santé des personnes.


Faisant suite au mois d’Octobre rose dédié à la sensibilisation au cancer du sein, le mouvement du Movember, quant à lui, passe encore inaperçu en France. Dans d’autres pays, cette campagne de prévention et de sensibilisation est bien connue du public. Son but ? Sensibiliser aux sujets encore trop tabous de la santé mentale des hommes, du cancer de la prostate, et de celui des testicules. En effet, les chiffres parlent d’eux-mêmes : le cancer de la prostate occupe la première position des cancers chez l’homme (avant le cancer du poumon), le cancer des testicules représente le cancer le plus fréquent chez l’homme entre 20 et 35 ans. Le suicide touche en moyenne trois fois plus les hommes que les femmes.


Or, dans l’inconscient collectif, la perception de ces maladies est largement empreinte de préjugés et de stéréotypes liés au genre. Ainsi, pour Philippe Roy, spécialiste de la prévention suicide et de la santé mentale des hommes, « la souffrance n’est ni masculine ni féminine. Ce qu’il faut comprendre, par contre, c’est que l’expression de la souffrance est très socioculturelle ». Un homme intériorise plus souvent qu’une femme la nécessité de « rester fort » et de ne pas demander de l’aide. L’enjeu est donc de taille au regard de l’impact de ces idées reçues sur les comportements et sur la détection de ces maladies. Comment expliquer un tel phénomène ?


Les symboles de « masculinité » du corps genré


Tenter d’expliquer l’origine de ces stéréotypes de genre et du tabou enveloppant ces cancers suppose de remonter à la symbolique-même des organes concernés. Dès la naissance, la catégorisation sur la base du sexe se fait à partir de l’identification des organes génitaux. Une petite fille, un petit garçon[1]. A cet égard, dans son saisissant poème “Pink or Blue", la poétesse Hollie McNish met en lumière les stéréotypes de genre auxquels fait face chaque individu, de la naissance jusqu’à la fin de sa vie. “Babies born in naked flesh, welcome to the world”, assène-t-elle amèrement en guise de conclusion.



Mais, plus qu’un élément d’identification du sexe, les organes génitaux constituent un symbole du genre. Succinctement, si le sexe correspond à la différence physique et biologique, le genre correspond pour sa part à une détermination psychologique pouvant notamment être influencée par l’environnement social et culturel de l’individu et des schémas comportementaux souvent intériorisés dès les plus jeune âge[2]. Ainsi, à l’instar du sein, souvent considéré comme un symbole de féminité et associé à des rôles prétendument féminins tels que l’érotisme et la maternité, les organes génitaux masculins sont le foyer de nombreux biais, idéaux et attentes sociales. Prostate et testicules sont en effet volontiers associés à la procréation et à la sexualité de l’homme cisgenre, et, par-dessus tout, à sa virilité.


Or, lorsque l’on évoque l’idée d’un homme viril, on ne pense pas seulement à sa vigueur sexuelle et à sa capacité biologique à procréer. Dans le langage courant, la virilité englobe souvent la notion de masculinité, c’est-à-dire l’ensemble des comportements et caractéristiques associés aux hommes en un temps et dans un lieu donnés. La masculinité renvoie à l’homme tel qu’il est vu par la société. C’est la vision d’un être « fort », « courageux ». Une maladie affectant les organes qui symbolisent la masculinité pourrait être vécue comme une rupture symbolique profonde, à l’origine d’une vulnérabilité certaine. La santé devient ainsi un terrain propice aux stéréotypes de genre.


La santé, un terrain propice aux stéréotypes


Au-delà des seuls cas de cancers, plusieurs études récentes ont permis de mettre en lumière que les codes sociaux « genrés », relatifs aussi bien à la masculinité qu’à la féminité, interagissent avec le champ de la santé. De l’expression des symptômes par la personne malade à l’établissement de diagnostics par le corps médical, de nombreux stéréotypes de genre trouvent à s’exprimer. Le problème est malheureusement bien vaste : évoquer la sous-représentation des femmes dans les essais cliniques, par exemple, nécessiterait une réflexion à part entière, notamment au regard des conséquences de cette absence sur l’adéquation des médicaments avec les symptômes exprimés exclusivement par les femmes.



En particulier, l’expression des symptômes – ou l’insuffisance de cette expression – peut emporter des conséquences particulièrement négatives sur la santé des hommes. A cet égard, un rapport du Commissariat général à la stratégie et à la prospective a souligné le lien entre socialisation, stéréotypes de genre et expression des symptômes : « alors que les filles sont plutôt encouragées à formuler leurs soucis, les garçons sont incités par l’environnement social à se conformer au modèle masculin, viril et dur au mal. Ils sont ainsi moins enclins à exprimer une plainte liée à un problème psychologique ou somatique. Par ailleurs, en verbalisant moins leurs problèmes, ils ont davantage tendance à passer à l’acte et à adopter des comportements à risques »[3]. Par conséquent, les garçons et les hommes tardent souvent à consulter des professionnels de santé face à la survenance de signes anormaux voire inquiétants.



S’ajoutent toutes les idées reçues liées aux cancers de la prostate et celui des testicules. En effet, les pratiques médicales qui peuvent mener à un potentiel diagnostic revêtent une symbolique particulière. Cette symbolique appartient dans une certaine mesure à un autre temps. Comment, par exemple, appréhender sereinement un toucher rectal rendu nécessaire dans le processus de prise en charge médicale ? La gêne suscitée par cette idée-même semble révéler, au-delà de réflexions évidentes liées à l’irruption dans la sphère intime de la personne, des considérations propres à la conception « historique » de la masculinité. Aussi la nécessité de bouleverser les idées reçues devient-elle essentielle à l’amélioration de la prise en charge médicale.



Bouleverser les idées reçues, un défi de taille pour les campagnes de prévention


Chaque année, le mois d’octobre est placé sous l’égide de la campagne de sensibilisation au cancer du sein, qui encourage chacune et chacun à aller se faire dépister. Aujourd’hui bien connu par la majeure partie de la population, Octobre rose est toutefois suivi d’un second mouvement de sensibilisation en novembre, quant à lui beaucoup moins connu : Movember. Fondation australienne qui a donné naissance à un mouvement mondial du même nom, Movember est la contraction des termes « moustache » et « novembre ». L’idée est simple et ludique : se laisser pousser la moustache afin d’attirer l’attention sur cet élément du visage et susciter l’intérêt de l’autre sur ce point. Imaginons un proche qui ne porte habituellement pas la moustache ; le voir subitement en arborer une en novembre fera naitre des questionnements certes anodins - « belle moustache, c’est nouveau ? » - mais qui permettront d’ouvrir le dialogue sur les raisons d’un tel choix, et contribuer à briser les tabous sur les sujets de santé mentale des hommes et des cancers testiculaires et prostatiques.


Autrement dit, ces campagnes de sensibilisation font face à un défi de taille : bouleverser les idées préconçues, les stéréotypes de genre et briser les tabous. Prenons un point de comparaison avec le dépistage du cancer du sein : l’encouragement à l’autopalpation des seins par les campagnes de sensibilisation a fortement contribué à « normaliser » ce geste, aujourd’hui devenu naturel dans le quotidien d’un certain nombre de personnes. Pour autant, l’autopalpation des testicules, recommandée dans le cadre de la détection du cancer testiculaire, ne semble pas encore faire l’unanimité parmi le public. Ce geste pourrait pourtant devenir anodin et commun pour l’homme, sans effet au regard de la perception de sa propre virilité. Plus généralement, la sensibilisation à ces types de cancer devrait permettre d’informer et de rassurer les hommes, notamment. Lever les tabous irait ainsi de pair avec la clarification de points qui peuvent parfois susciter le doute : quelle tranche d’âge peut être concernée ? Ces cancers sont-ils héréditaires ? Quels impacts sur la vie sexuelle ?


Concernant la santé mentale des hommes, c’est la même histoire ! Les maladies et les souffrances psychologiques sont aujourd’hui encore difficiles à délimiter et à quantifier lorsqu’elles concernent les hommes. « Les garçons ne pleurent pas », expliquent certains aux jeunes enfants. Résultat : les garçons et les hommes intègrent, parfois sans le savoir, qu’ils doivent régler leurs problèmes seuls. Les stéréotypes de genre sont ainsi amenés à jouer sur le diagnostic de ces maladies affectant la santé mentale, contribuant à rendre cette cause invisible. Ouvrir le dialogue, informer, normaliser : tels sont les enjeux devenus essentiels de ces campagnes de sensibilisation.





[1] sans compter les personnes intersexuées, vaste sujet cristallisant à lui seul de nombreux tabous

[2] Kiss A, Meryn S. Effect of sex and gender on psychosocial aspects of prostate and breast cancer. BMJ. 2001 Nov 3;323(7320):1055-8. doi: 10.1136/bmj.323.7320.1055. PMID: 11691767; PMCID: PMC1121550.

[3] Rapport « Lutter contre les stéréotypes filles-garçons, un enjeu d’égalité et de mixité dès l’enfance » Travaux coordonnés par Marie-Cécile Naves et Vanessa Wisnia-Weill, Janvier 2014, p. 175



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